Apeiron

Anaximandre vers 555 av.J-C

Le seul texte qui est attribué sans conteste à ce philosophe est, suivant une traduction de Nietzche : « D’où les choses ont leur naissance, vers là aussi, elles doivent expier et être jugées pour leur injustice selon l’ordre du temps. »

Voici une autre traduction : « Ce dont la génération procède « pour les choses qui sont » est aussi ce vers quoi elles retournent, sous  l’effet de la corruption selon la nécessité car elles se rendent  mutuellement justice et réparent leur injustice selon l’ordre du temps. »

Et celle-ci : « Ce d’où il y a, pour les êtres, génération, c’est en cela aussi qu’a lieu la destruction, selon ce qui doit être ; car ils se rendent justice et réparation les uns aux autres de leur mutuelle injustice, selon l’assignation du temps. »

L’Apeiron, c’est cet indéfini duquel tout provient
et à quoi tout retourne
(M. Conche Anaximandre – 1991)

         On peut interpréter ce texte de la manière suivante : tout ce qui naît est nécessairement condamné à périr dans un temps donné. Pour ces choses, qui, inéluctablement, naissent et meurent après un temps d’existence, Anaximandre parle d’expiation et de justice. La naissance est donc une chose qu’il faut expier en en rendant  justice. Nous pensons que justice doit être pris dans le sens d’équilibre, de repos. Autrement dit, la naissance est un déséquilibre de quelque chose. La chose née n’a qu’une fin, c’est de retrouver le repos qu’elle a perdu. Cet effort pour revenir à l’équité concrétise le temps d’existence.

Jusqu’à Anaximandre, les philosophes avaient voulu expliquer le monde à partir d’éléments qui leur paraissaient naturels comme l’eau, l’air, la terre et le feu sans faire intervenir des dieux. Anaximandre est le premier à s’abstraire de toute explication matérielle et divine en faisant intervenir un élément purement abstrait qu’il nomme « apeiron » et que l’on peut traduire par infini, transfini, illimité, indéterminé, immortel, impérissable, non engendré, non corruptible. De cet élément primitif naissent par divisions successives de l’apeiron, les contraires qui, par réunion, retournent à la mort dans l’élément primitif. Hors de l’apeiron, les éléments sont en conflit perpétuel, le chaud s’affronte au froid, le sec à l’humide, conflit réglé par l’apeiron qui enjoint à chaque assaillant de rejoindre ses frontières naturelles.

Voici une autre interprétation, celle de l’astrophysicien Michel Cassé dans les Théories du Ciel page 56 : « L’apeiron est cet infini ou indéfini, ce néant inorganisé qui contient toute chose en puissance et par lequel tout peut accéder à l’être et au devenir par discrimination de couples opposés. C’est à lui, de même, que tout retourne une fois le cycle accompli. »

Il s’agit, là aussi, de cycle donc de champ dans son sens scientifique. Le champ avec ses pulsations naît de quelque chose de plat et d’indéterminé. Chaque fois qu’une pulsation s’en écarte, il faut que cette pulsation essaie de revenir dans sa situation première, que, dans son effort, elle dépasse pour produire une pulsation opposée. Ainsi est le champ oscillant autour de cet apeiron. Plus il s’en écarte plus il déploie un effort pour y retourner, effort tel qu’il le dépasse jusqu’à la position inverse. De cette position, il cherche à nouveau à le rejoindre, mais en dépassant à nouveau pour se retrouver dans la position inverse et revenir au départ. C’est comme cela que le champ « expie l’injustice ». Entre deux positions identiques, il y a de l’espace, figuré par la longueur d’onde, et du temps, représenté par la période, qui est l’ordre de ce temps.

Anaximandre avait parfaitement compris la superposition de cycles que représente l’univers sans avoir les outils conceptuels pour l’exprimer. L’apeiron est le repos vers lequel tout cet univers aspire par annihilation des opposés.

Le dualisme moderne est entièrement en phase avec la conception d’Anaximandre. L’antique doctrine chinoise appelait simplement Tao ce qu’Anaximandre nommait Apeiron, mais au fond, chacun utilisait un vocable différent pour symboliser le même contenu sémantique.

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