Livre IV : La compensation

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René Lebon : Plus Ou Moins, La Compensation, Livre 4 (Livre) - Livres et BD d'occasion - Achat et vente

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Plus Ou Moins, La Compensation, Livre 4
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René Lebon
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Table des articles    Livre IV

 

L’éternelle compensation       page 1

Deux apôtres de la compensation B. Franklin Et P-H. Azaïs           12

L’esprit et le corps      25

Le vivant        59

Ensemble        110

Le miracle permanent ou la loterie universelle          117

Dame nature   122

Le monde est-il entaché de nullité ?  125

L’univers ambidextre 128

Quelque chose et rien 131

Anti-monde    133

L’oeuf et la poule       137

En avant la musique   140

Compositeur et interprète      143

Paix     146

Les pleurs du mal       148

Ni NI  151

Effet de seuil  153

Le chaos quantique    154

L’ordre vaincu par K.O. ?      157

Chaos et déterminisme           162

Les roulements du chaos        164

Considérations dualistes sur la vie     167

Ordre et désordre       172

L’attracteur étrange    177

La non-linéarité, source de chaos      180

Complexité, émergence et totalité     185

Complexe et complexité        185

La partie et le tout      190

La théorie du tout      193

La totalité de la totalité          196

Le réseau        198

Les rythmes circadiens           201

Les règles du monde quantique         203

Le cerveau      206

L’esprit collectif des insectes 208

Complexité de l’arborescence            210

Matière à panser         212

Les réseaux d’espèces            215

L’information en biologie      217

Le cycle limite            219

Du simple au compliqué         221

Univers.com   223

L’inconnu ou l’inaccessible    227

Le mouvement des contraires            230

L’absolu et la relativité des contraires           232

Concaténation des contraires 234

Coexistence des contraires     236

L’effet de seuil           238

Le clair-obscur            243

Amours et leurs délices          248

L’évangile selon Jean Sébastien Bach           250

Clins d’œil      254

En quête de spirituel  256

Du pensable    259

Le casse-tête ou l’aporie        261

L’acmé            263

La preuve par non      265

Pour qui sonne le « la »          267

Le couple d’opposés  270

La magie du carré logique et les oppositions 277

Coïncidence des opposés       281

 

Articles extraits du livre IV    La compensation

 

« Il y a dans tout homme,

à toute heure,

deux postulations simultanées,

 l’une vers Dieu, l’autre vers Satan.»

Mon cœur mis à nu – Charles Baudelaire

Les pleurs du mal

Le sublime et l’horrible se rejoignent. Une rose pousse mieux sur du fumier. Le mal peut générer des fleurs selon Baudelaire. L’homme possède en lui ces deux pulsions contradictoires qui sont celles

du « vouloir-vivre » de Schopenhauer ou de sa propre destruction et de celle des autres. La civilisation s’efforce de modérer le côté négatif par la répression en condamnant sur un prétendu principe de

justice ou en essayant de magnifier l’aspect positif par des slogans comme « Liberté, égalité, fraternité » que l’homme s’empresse d’enfreindre constamment. Est-il possible de s’autosatisfaire pour notre goût du bien, du beau, du bon ou de se flageller pour nos poussées morbides ?

A la racine de tout cela, il y a le fait qu’à partir du moment où une chose se crée, devient réelle, même pour la plus infime particule, cette chose contient en elle-même l’envie de se supprimer et de retourner le plus vite possible au repos d’où elle vient. Exister c’est s’agiter démesurément mais, aussi, rien ne veut rester dans cette frénésie, sans queue ni tête, du mouvement en subissant la contrainte de revenir au calme du non-agir. Ce retour à la source n’est pas immédiat. Il s’effectue par une hystérésis due à l’espace-temps, lui-même conséquence de la mouvance des choses. Il est une forme d’inversion ou d’identique retournée. Comme toutes les opérations de reproduction du même, il y a des ratés permis par la poussée expansionniste et qui sont le sel de l’existence. Il en résulte un éparpillement de possibles, le plus probable étant celui qui a le plus de chance d’aller vers le désordre en cherchant l’anéantissement. L’univers lui-même est en butte au jeu de deux forces contraires, l’une qui veut l’union, l’ordre, l’agrégation, l’harmonie, l’autre qui n’a de cesse de diminuer, de détruire, de disséminer, de fragmenter en essayant d’emporter tout sur son passage pour aller vers l’oubli, le vide, le renoncement à être. L’homme, objet inattendu de la nature, est aussi le lieu de ce conflit qu’il a du mal à refréner par les contraintes de la vie en société. Est-ce une excuse ? On ne peut nier l’existence d’une pulsion soudaine de reproduction alliée à la mort. Donner la vie c’est aussi donner la mort. La solution pour la vie sociale est de guérir si cela est possible ou de mettre hors d’état de nuire. Nous sommes tous sujets à ces pulsions d’amour et de destruction. On ne peut que les contenir. Amour et haine forment un couple dualiste et l’excès de l’un peut faire surgir l’autre.

Faut-il en pleurer ? Non, bien sûr mais on peut en revenir à la technique du sage qui est celle de réduire ses pulsions et ses désirs par atténuation de la flamme qui l’anime, en espérant ainsi, amoindrir son goût pour le mal, le laid et le mauvais. Il faut rester au creux de ces vagues qui nous secouent comme le surfeur qui se glisse dans les rouleaux en se maintenant sur la pente et en oscillant par des petits coups de reins de manière à profiter de cette pente qui se dirige vers le rivage, en l’attaquant de biais, pour avancer et suivre la déferlante sans s’y engloutir et rester à la même hauteur. Il est ainsi, de par son poids, en chute perpétuelle atténuée par l’angle d’attaque, tout en progressant horizontalement, porté par la vague.

C’est comme cela qu’il faudrait glisser dans le courant de la vie, prenant avantage d’une chute réduite et contrôlée mais inévitable pour suivre plus facilement notre destinée en évitant les à-coups et sans se laisser emporter.

Il faut, comme pour un voilier, naviguer « à la cape » c’est-à-dire réduire sa vitesse et sa voilure, attaquer de face et de biais la houle provoquée par le gros temps en épousant sa forme. Une petite vitesse permet de ne pas se mettre en travers de la lame et par conséquent de ne pas chavirer. Le mieux est de progresser dans les creux et les crêtes, comme sur une montagne russe, en suivant leur contour avec un angle d’attaque approprié. Il faut en quelque sorte faire «le gros dos» et affronter la tempête plus ou moins «de face». C’est une situation qui ralentit mais est nettement préférable à celle de « se mettre en fuite » c’est-à-dire de tourner le dos à la tempête.

Cette dernière situation, si elle augmente la vitesse en sens inverse, rend le voilier pratiquement ingouvernable, sujet aux fantasques bourrasques et le met en danger permanent.

Se mettre « à la cape» est une technique qui aurait beaucoup plu à Lao-Tseu s’il l’avait connue, car il préférait l’habile esquive à la force brutale.

Mais les deux co-existent. Le mal peut produire des fleurs mais, en contrepartie, le bien, comme la rose a ses épines.

 

L’effet de seuil ou la phase critique de passage
entre continu apparent et discontinu

De petites fissures se produisent sur un barrage. Elles augmentent en grandeur et en quantité. Cela signifie que de très nombreux petits évènements vont se produire sans que l’on puisse en avoir le contrôle. On peut réparer certaines fissures, mais il peut en apparaître d’autres, cela étant dû à une faiblesse du barrage, un mauvais ancrage, une variation de la poussée de l’eau en fonction des pluies. Il est pratiquement impossible d’avoir une maîtrise de tous ces phénomènes difficilement détectables.

Mais d’un seul coup, le barrage se rompt à un moment tout à fait imprévisible, compte tenu de tous les micro-évènements qui ont concouru à ce désastre. On sait qu’un tremblement de terre peut se produire dans une région déterminée, mais on est complètement incapable d’en prévoir la date. Tous les petits évènements accumulés vont suffire pour provoquer la catastrophe. C’est ce qu’on entend par effet de seuil qualifié de critique.

De nombreux phénomènes se produisent dans la nature par effet de seuil. On peut citer par exemple la transition de phase où de l’eau liquide se transforme en glace solide.

L’effet de mode peut aussi être un exemple. Imaginons des hommes, chacun dans une cabine d’essayage complètement isolée des autres. Il a le choix de porter une chemise rouge ou une chemise verte, son choix n’étant guidé que par le hasard. Rien ne lui permet de prendre une rouge plutôt qu’une verte. S’il y a beaucoup d’hommes, on va constater une répartition moitié-moitié des chemises vertes et rouges. Par contre si l’un d’eux peut voir ce qu’ont choisi ses voisins, il va être influencé dans son choix par sa tendance à l’imitation. Petit à petit il va se produire des îlots de chemises vertes ou rouges et puis, rapidement, la grande majorité des hommes aura des chemises vertes ou rouges sans pouvoir préciser quelle couleur sera finalement adoptée. Par le seul fait de l’imitation qui correspond à l’idée d’en faire le moins possible, il y a eu brisure de symétrie.

Au début il y a symétrie parfaite de chemises rouges et vertes qui basculent brusquement vers des chemises majoritairement rouges ou vertes.

La percolation est aussi un bon exemple d’effet de seuil. Lorsqu’on entasse du café moulu, il se produit des interstices ou des petits espaces sans café. L’eau en passant à travers le café va emprunter les chemins où tous les espaces libres sont alignés. Il y aura aussi des espaces où l’eau ne pourra pas passer sauf si on augmente sa pression. D’autres chemins s’ouvrent alors. A partir d’un certain nombre de chemins, l’eau va filtrer en totalité à travers le café. Il y a donc un point dit « critique » où une action qui augmente régulièrement surmonte une réaction passive qui au lieu de contrebalancer constamment cette action, résiste jusqu’à un certain point où elle cède brusquement.

Ce phénomène de seuil critique se retrouve en de nombreux cas dans le monde. C’est un retournement brusque de situation, limité. Si on oppose une résistance à des évènements du même ordre qui s’accumulent continûment, cela ne peut durer éternellement. Il y a une frontière où tout bascule dans un temps bref.

Prenons l’exemple d’un réseau de routes reliant un grand nombre d’agglomérations. On peut couper ces routes pour des raisons diverses. Quand le nombre de routes coupées est faible, cela nuit peu aux communications. On peut utiliser des déviations pour les éviter. Si l’on continue à couper des routes au hasard, il va se former des « îles » composées d’agglomérations qui ne peuvent plus communiquer avec les autres îles et ne gardent que leur communication intérieure. Mais il reste des îles qui communiquent entre elles pour former alors « un continent » qui rétrécit de plus en plus au fur et à mesure que le nombre de routes coupées augmente. Pour une certaine valeur critique, le continent disparaît. Il n’y a plus que des îles. Si pratiquement toutes les routes sont bloquées, chaque agglomération peut se trouver complètement isolée. Il n’est pas nécessaire d’aller jusque-là. Pour la valeur critique, le pays est déjà pratiquement paralysé. Ce seuil a une propriété remarquable. Si on isole une partie de ces îles et qu’on agrandit cette partie au niveau du réseau initial, on s’aperçoit que les propriétés statistiques sont les mêmes. Le système est statistiquement invariant en zoomant. Autrement dit, l’ensemble au niveau du seuil critique est « fractal ». La valeur de ce seuil est variable. Pour passer d’un état à un état qui lui est opposé, certaines voies sont plus aisées que d’autres. Cela signifie que l’effort pour passer à l’opposé peut se réduire au minimum possible. Le nombre de chemins à moindre dépense augmente par exemple en accroissant la pression de l’eau dans un percolateur à café et il y a un moment où l’eau percole sans problème.

Voici un exemple plus simple : un échiquier où les cases ne peuvent être que noires ou blanches. Admettons que toutes les cases sont blanches au départ. Puis certaines deviennent noires tout à fait au hasard et progressivement. Au cours de ce processus il y a un moment où il y a p cases blanches et par conséquent 64 – p cases  noires. Au début du processus, il y a des îles de cases blanches ou noires. Aléatoirement il va se produire des îles plus grandes. Si c’est le cas des noires, une île de ces cases peut relier le bas au haut de l’échiquier qu’on peut ainsi traverser. Si dans ce cas le nombre de noires excède pc = 0,5927, la probabilité de trouver un amas de cases noires pouvant rejoindre le haut est de 100 % quelle que soit la répartition des cases blanches et noires. Autrement dit dès qu’un amas de cases noires dépasse pc en proportion toutes les cases vont devenir noires petit à petit. Il y a eu basculement du blanc vers le noir. Il aurait pu y avoir basculement vers le blanc si le nombre de cases blanches avait dépassé en premier la valeur critique pc.

Dans cette opération on peut passer à la valeur critique, de tout blanc à tout noir ou l’inverse si au départ l’échiquier était constitué de cases noires.

On voit ainsi qu’à la valeur critique on va vers l’inversion (tout noir) ou vers l’identité (tout blanc) si au départ l’échiquier est blanc et le contraire, si on démarre l’opération avec un échiquier noir.

Si l’on augmente le nombre de cases noires, la taille des amas des cases noires au voisinage du seuil critique augmente inversement proportionnellement à l’écart, par rapport au seuil (n – pc) élevé à une certaine puissance dit exposant critique. Cet exposant critique est très général, car il prend la même valeur quel que soit le type de percolation considérée. L’écart (n – pc) élevé à la puissance 0.17 caractérise ainsi généralement la vitesse de propagation de l’opération. La théorie n’est valable qu’au voisinage du seuil.

La criticalité auto-organisée laisserait entendre que certains systèmes peuvent rester au voisinage de leur seuil.

On pourrait résumer l’effet de seuil à : « ça ne passe pas » et d’un seul coup « ça passe ».

Si la dimension fractale est un coefficient d’occupation de l’espace, au seuil critique, la proportion de cases noires est une dimension pour laquelle « ça passe ».

Pour simplifier le problème de l’effet de seuil, on peut parler, en général, d’une structure où des objets quelconques sont reliés. Si un lien est supprimé cela peut être considéré comme un « non » alors que le « oui » serait lorsqu’il y a liaison. L’ensemble des liens est alors ramené au problème de pile ou face. Suivant la quantité de oui et de non, la structure est opérante (par exemple l’eau filtre dans un percolateur à café ou non). L’accumulation de liens microscopiques «oui ou non» va petit à petit, progressivement, provoquer un fonctionnement «oui ou non» de la structure. Il y a un effet d’entraînement dans ce qui cède. Une petite défaillance fait basculer d’un seul coup le système macroscopique vers oui ou non.

Cela pose le problème de la continuité et de la discontinuité. Le continu et son opposé : le discret, est une question majeure en philosophie. Ce qui est vraiment continu n’est pas envisageable. Cela rentre dans le domaine de l’ignorance, de l’inconnu, de l’infini. Couper un segment en deux parties est une opération qu’il faudrait renouveler une « infinité de fois » pour obtenir le continu. A l’inverse on tend vers zéro pour la distance entre deux points consécutifs. Infini et zéro sont hors de notre portée ce qui met le continu absolu dans le domaine de l’inaccessible. Par contre, il peut y avoir une continuité apparente. Le cinéma en est un exemple. Dans l’effet de seuil, de nombreux petits faits s’entassent et donnent l’impression d’une continuité. A un certain niveau, la rupture se produit et l’on passe du continu apparent au discontinu. L’évolution des espèces s’est produite de cette façon par à-coups. Une avalanche résulte d’une accumulation de neige qui va glisser d’une seule fois sous l’effet des pas d’un alpiniste. Un barreau de fer ne s’aimante (c’est-à-dire oriente tous ses spins dans la même direction) qu’à une certaine température (Point de Curie). L’eau du lac Ladoga en Russie peut se refroidir progressivement jusqu’à la température de congélation et va faire qu’une bande de chevaux voulant fuir un incendie de forêt se jettent à l’eau et sont immédiatement transformés en statues de glace.

La plupart des choses de ce monde ont évolué par sauts à la suite de lentes évolutions.

L’homme est pratiquement aveugle à la continuité. Il luit faut des repères bien lisibles, qui sautent aux yeux, à base de différences sinon d’oppositions.

Le dualisme a largement sa place dans tout cela, aussi bien dans l’accumulation de petits évènements que dans la réalisation de choses importantes.

Tout s’effectue sur la base de oui et de non.

 

« Jean Sébastien Bach

 est le cinquième évangéliste.»

Cioran

L’évangile selon Jean Sébastien Bach

Le divin c’est lorsque l’homme parvient à non seulement se hisser au-dessus de sa condition d’animal, mais aussi à largement dominer ses congénères. Sa stature est telle qu’il suscite une sorte de vénération comme celle que l’on pourrait accorder à Dieu sous la condition qu’il existât. Ce genre de surpassement ne vaut que dans une discipline quelconque. Michel-Ange, Shakespeare, ont atteint des sommets dans leur spécialité au prix certainement d’un travail acharné pour connaître le maximum de choses et former leur esprit. L’amour et la pratique forcenée de leur art mobilisaient leurs neurones jusqu’au point sans doute de les rendre malhabiles dans la vie courante. Mozart avait gardé un caractère puéril qu’on a d’ailleurs odieusement caricaturé. Son cerveau était habité par des combinaisons de sons qu’il pouvait conserver grâce à son extraordinaire mémoire musicale. Ces génies sont en quelque sorte des handicapés où une seule faculté s’est développée démesurément aux dépens des autres. Leur exceptionnalité ressort du miracle. Doit-on les considérer comme des messies, au même titre que Jésus ou Bouddha ? Pourquoi pas. L’empreinte imprimée par ces hommes hors du commun, ne disparaîtra sans doute qu’avec l’humanité. Ce sont des phares qui éclairent notre route et meublent une grande partie de nos préoccupations.

Jean Sébastien Bach avait certainement l’âme d’un petit fonctionnaire surtout préoccupé d’obtenir un poste pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa nombreuse famille. Il a eu vingt-deux enfants avec deux épouses. Il faisait partie d’une très nombreuse famille de musiciens de père en fils. Le nombre d’enterrements de ses proches qu’il a dû suivre est ahurissant. Comment trouvait-il le temps d’écrire et où puisait-il son inspiration ? Pour quelle raison, la plupart de ses compositions sont des chefs-d’œuvre? Que pensait-il vraiment ? Il était profondément croyant, mais à son époque c’était une banalité. En dehors de ses compositions sur lesquelles il ne donnait aucune indication sur la vitesse de leur exécution, nous n’avons que des lettres adressées souvent à des supérieurs. Ce sont en fait des suppliques où il fait montre d’un caractère courtisan avec des formules de politesse très en usage à son époque. On est affligé de voir un si grand homme obligé de s’abaisser pour l’amélioration de son sort. Nous savons aussi qu’il se rebellait souvent contre la médiocrité de ses exécutants. Comment un homme qui avait dû se battre continuellement contre l’incompréhension de ses contemporains a-t-il pu composer un monument d’une telle sérénité qu’est la Passion selon Saint-Jean ? Il a touché à tous les genres de son époque en y excellant. Ses sonates pour violon seul, sans doute injouables à son époque, notamment pour la Chaconne, restent un chef-d’œuvre inégalé et toujours rejoué par les plus grands virtuoses. Jean Sébastien Bach était aussi un formidable exécutant notamment à l’orgue à tel point que personne ne voulait concourir avec lui. Il y avait à son époque une obligation de se renouveler constamment ce qui le contraignait à créer la plupart du temps.

Sa musique ne reflète aucune passion. Sous une apparente rigueur, elle cache une grande émotion contenue. Elle doit s’écouler d’une manière un peu mécanique. Il est absolument exclu de jouer cette musique avec des pâmoisons romantiques en se tortillant de douleur sur son siège. C’est une musique céleste au-delà des misères de la vie quotidienne. C’est la totale sérénité, zen si l’on peut dire, qui nous envahit et à laquelle tout être humain aspire sans jamais y parvenir.

Le dualisme enseigne la modération et de vivre «au milieu», entre les excès dans un sens ou un autre. Jean Sébastien Bach qui a porté la musique jusqu’à son paroxysme ne devrait pas être taxé de dualiste. Mais il y a sans doute eu compensation entre les sommets de son œuvre et la médiocrité du personnage telle que cela a été rapporté. Pour le sage, il s’agit d’une sorte de méditation et l’écoute de cette « musique des anges » peut lui permettre d’atteindre plus profondément le nirvâna ou la quasi-extinction des sens en y accédant par le système auditif. Il aspire à la qualité suprême qui est la sérénité et le détachement de soi. La musique de Jean Sébastien Bach est transcendantale et non charnelle. Elle peut venir nous baigner quand nous voulons séjourner dans l’invariable milieu pour rechercher l’oubli de nos misères quotidiennes.

Glenn Gould a été un des meilleurs interprètes de Jean Sébastien Bach au piano alors que cet instrument n’était pas connu à l’époque. Réputé fantaisiste, il jouait avec un vieux pardessus râpé assis sur un petit escabeau déglingué, courbé complètement sur le piano, faisant corps avec lui et chantonnant en même temps qu’il jouait. C’était certainement un sage qui fuyait le monde, les concerts hyper-conventionnels pour se consacrer à cette musique qui lui semblait dictée par le ciel. Interrogé sur le fait de savoir s’il croyait en Dieu, il avait répondu :

« Je crois au Dieu de Jean Sébastien Bach. »

 

Clins d’œil

Notre œil n’est jamais en repos. Le globe oculaire n’est jamais fixe. Les images données sur la rétine se déplacent constamment à grande vitesse. Ceci est la conséquence des mouvements rapides de l’œil. Ces mouvements sont instinctifs et incontrôlés. Quelle est la raison de ce mouvement continu de va-et-vient ? Comment dans ces conditions obtient-on une image qui n’est pas floue et indistincte ? Ces mouvements sont transmis au cerveau qui combine toutes ces données avec les signaux d’équilibre de l’oreille interne en redressant en même temps l’image rétinienne qui était inversée. On ne peut capter que des différences, des écarts par rapport à la perception que nous avons d’un monde stable et continu. Le cerveau restitue en fait une situation d’équilibre qui permet de se repérer car si tous les détails de la perception étaient conscients on ne pourrait rien saisir du monde qui nous entoure. Le cerveau agit comme un ordinateur et applique la loi des grands nombres. Il restitue à notre conscience, au lieu de milliards de petits détails inconnaissables, une image préhensible, comprimée, condensée mais en quelque sorte factice. C’est au prix de ces simplifications que l’on peut connaître.

Il a été démontré expérimentalement que si l’objet  bouge de la même manière que les mouvements oculaires, on ne voit rapidement plus rien. On ne peut voir que par comparaison d’images fournies par des mouvements chaotiques et involontaires des yeux. Les oscillations du globe oculaire s’effectuent sur des périodes de 10 à 20 millisecondes et distinguent un ou deux mots dans des intervalles de temps de 30 millisecondes. Il faut 200 millisecondes au cerveau pour nous faire prendre conscience de ce sur quoi se porte notre attention. Ceci implique que le cerveau reçoit un nombre fantastique de données qu’il trie et comprime.

Ces mouvements oculaires se retrouvent dans le sommeil paradoxal quand nous rêvons. Les situations imaginées du rêve basées sur la réalité provoquent les mêmes réactions de l’œil.

Ceci démontre bien que tout doit constamment bouger pour être perçu. Seul le relatif parvient à notre conscience. Nous savons que les différences naissent des oppositions. Le relatif implique la relation, l’échange, la communication. Tout bouge et le fait savoir. Un objet au repos absolu, dans le cas où celui-ci existerait, n’a rien à dire aux autres. Chacun fait part de son mouvement à son entourage dont les objets sont aussi en constant déplacement et répondent en informant aussi sur leur agitation.

Dans le point de Planck où toute l’énergie de l’univers était confinée il n’y avait qu’une extrêmement faible possibilité de vibrer, aussi réduite que possible. Avec l’expansion les éléments qui se sont distingués ont pu, petit-à-petit, disposer d’espaces de liberté de plus en plus importants pour se mouvoir. Tous ces enfants séparés sont originaires de l’embryon primordial et conservent des liens d’apparentement, leur substance étant la même. C’est de l’énergie qui se répand dans un espace-temps qui se dilate. Nous ne pouvons distinguer que des parcelles d’énergie concentrée comme par exemple  les particules subatomiques. Chacune d’entre elles est en relation avec toutes les autres, qu’elle contient, en quelque sorte. La matière éclatée par l’expansion garde en elle la possibilité de se réunir à nouveau comme si tous les descendants d’une femme ne désiraient qu’une chose, retourner dans le ventre de leur génitrice.

Ceci rappelle la notion de structuralisme où les relations entre les objets sont considérées comme plus importantes que les objets eux-mêmes. Ces objets peuvent être réduits à de simples points sans que les relations en soient affectées. La structure prime sur ce qu’elle structure.

On ne perçoit que des différences, mais ces différences ne sont que la superposition de cycles d’opposition, de couples de contraires de toutes sortes. Le couple (0. 1) est le couple géniteur. Les mouvements incessants du globe oculaire de l’œil démontrent ainsi que tout est bien dualiste, cqfd.

 

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