Les pleurs du mal

28 Déc 2015 par

 « Il y a dans tout homme, à toute heure,
deux postulations simultanées,
l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. »

Mon cœur mis à nu – Charles Baudelaire

Les pleurs du mal

Le sublime et l’horrible se rejoignent. Une rose pousse mieux sur du fumier. Le mal peut générer des fleurs selon Baudelaire. L’homme possède en lui ces deux pulsions contradictoires qui sont celles du « vouloir-vivre » de Schopenhauer ou de sa propre destruction et de celle des autres. La civilisation s’efforce de modérer le côté négatif par la répression en condamnant sur un prétendu principe de justice ou en essayant de magnifier l’aspect positif par des slogans comme « Liberté, égalité, fraternité » que l’homme s’empresse d’enfreindre constamment. Est-il possible de s’auto-satisfaire pour notre goût du bien, du beau, du bon ou de se flageller pour nos poussées morbides ?

A la racine de tout cela, il y a le fait qu’à partir du moment où une chose se crée, devient réelle, même pour la plus infime particule, cette chose contient en elle-même l’envie de se supprimer et de retourner le plus vite possible au repos d’où elle vient. Exister c’est s’agiter démesurément mais, aussi, rien ne veut rester dans cette frénésie, sans queue ni tête, du mouvement en subissant la contrainte de revenir au calme du non-agir. Ce retour à la source n’est pas immédiat. Il s’effectue par une hystérésis due à l’espace-temps, lui-même conséquence de la mouvance des choses. Il est une forme d’inversion ou d’identique retournée. Comme toutes les opérations de reproduction du même, il y a des ratés permis par la poussée expansionniste et qui sont le sel de l’existence. Il en résulte un éparpillement de possibles, le plus probable étant celui qui a le plus de chance d’aller vers le désordre en cherchant l’anéantissement. L’univers lui-même est en butte au jeu de deux forces contraires, l’une qui veut l’union, l’ordre, l’agrégation, l’harmonie, l’autre qui n’a de cesse de diminuer, de détruire, de disséminer, de fragmenter en essayant d’emporter tout sur son passage pour aller vers l’oubli, le vide, le renoncement à être. L’homme, objet inattendu de la nature, est aussi le lieu de ce conflit qu’il a du mal à refréner par les contraintes de la vie en société. Est-ce une excuse ? On ne peut nier l’existence d’une pulsion soudaine de reproduction alliée à la mort. Donner la vie c’est aussi donner la mort. La solution pour la vie sociale est de guérir si cela est possible ou de mettre hors d’état de nuire. Nous sommes tous sujets à ces pulsions d’amour et de destruction. On ne peut que les contenir. Amour et haine forment un couple dualiste et l’excès de l’un peut faire surgir l’autre.

Faut-il en pleurer ? Non, bien sûr mais on peut en revenir à la technique du sage qui est celle de réduire ses pulsions et ses désirs par atténuation de la flamme qui l’anime, en espérant ainsi, amoindrir son goût pour le mal, le laid et le mauvais. Il faut rester au creux de ces vagues qui nous secouent comme le surfeur qui se glisse dans les rouleaux en se maintenant sur la pente et en oscillant par des petits coups de reins de manière à profiter de cette pente qui se dirige vers le rivage, en l’attaquant de biais, pour avancer et suivre la déferlante sans s’y engloutir et rester à la même hauteur. Il est ainsi, de par son poids, en chute perpétuelle atténuée par l’angle d’attaque, tout en progressant horizontalement, porté par la vague.

C’est comme cela qu’il faudrait glisser dans le courant de la vie, prenant avantage d’une chute réduite et contrôlée mais inévitable pour suivre plus facilement notre destinée en évitant les à-coups et sans se laisser emporter.

Il faut, comme pour un voilier, naviguer « à la cape » c’est-à-dire réduire sa vitesse et sa voilure, attaquer de face et de biais la houle provoquée par le gros temps en épousant sa forme. Une petite vitesse permet de ne pas se mettre en travers de la lame et par conséquent de ne pas chavirer. Le mieux est de progresser dans les creux et les crêtes, comme sur une montagne russe, en suivant leur contour avec un angle d’attaque approprié. Il faut en quelque sorte faire «le gros dos» et affronter la tempête plus ou moins «de face».

C’est une situation qui ralentit mais est nettement préférable à celle de « se mettre en fuite » c’est-à-dire de tourner le dos à la tempête.

Cette dernière situation, si elle augmente la vitesse en sens inverse, rend le voilier pratiquement ingouvernable, sujet aux fantasques bourrasques et le met en danger permanent.

Se mettre « à la cape » est une technique qui aurait beaucoup plu à Lao-Tseu s’il l’avait connue, car il préférait l’habile esquive à la force brutale.

Mais les deux coexistent. Le mal peut produire des fleurs mais, en contrepartie, le bien, comme la rose a ses épines.

 

Intéressé par le sujet ?

Voir aussi le livre IV La Compensation

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