Jean Sébastien Bach

10 Nov 2015 par

 « Jean Sébastien Bach est le cinquième évangéliste.»
Cioran

L’évangile selon Jean Sébastien Bach

Le divin c’est lorsque l’homme parvient à non seulement se hisser au-dessus de sa condition d’animal, mais aussi à largement dominer ses congénères. Sa stature est telle qu’il suscite une sorte de vénération comme celle que l’on pourrait accorder à Dieu sous la condition qu’il existât. Ce genre de surpassement ne vaut que dans une discipline quelconque. Michel-Ange, Shakespeare ont atteint des sommets dans leur spécialité au prix certainement d’un travail acharné pour connaître le maximum de choses et former leur esprit. L’amour et la pratique forcenée de leur art mobilisaient leurs neurones jusqu’au point sans doute de les rendre malhabiles dans la vie courante. Mozart avait gardé un caractère puéril qu’on a d’ailleurs odieusement caricaturé. Son cerveau était habité par des combinaisons de sons qu’il pouvait conserver grâce à son extraordinaire mémoire musicale. Ces génies sont en quelque sorte des handicapés où une seule faculté s’est développée démesurément aux dépens des autres. Leur exceptionnalité ressort du miracle. Doit-on les considérer comme des messies, au même titre que Jésus ou Bouddha ? Pourquoi pas. L’empreinte imprimée par ces hommes hors du commun, ne disparaîtra sans doute qu’avec l’humanité. Ce sont des phares qui éclairent notre route et meublent une grande partie de nos préoccupations.

Jean Sébastien Bach avait certainement l’âme d’un petit fonctionnaire surtout préoccupé d’obtenir un poste pour pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de sa nombreuse famille. Il a eu vingt deux enfants avec deux épouses. Il faisait partie d’une très nombreuse famille de musiciens de père en fils. Le nombre d’enterrements de ses proches qu’il a dû suivre est ahurissant. Comment trouvait-il le temps d’écrire et où puisait-il son inspiration ? Pour quelle raison, la plupart de ses compositions sont des chefs d’œuvre ? Que pensait-il vraiment ? Il était profondément croyant, mais à son époque c’était une banalité. En dehors de ses compositions sur lesquelles il ne donnait aucune indication sur la vitesse de leur exécution, nous n’avons que des lettres adressées souvent à des supérieurs. Ce sont en fait des suppliques où il fait montre d’un caractère courtisan avec des formules de politesse très en usage à son époque. On est affligé de voir un si grand homme obligé de s’abaisser pour l’amélioration de son sort. Nous savons aussi qu’il se rebellait souvent contre la médiocrité de ses exécutants. Comment un homme qui avait dû se battre continuellement contre l’incompréhension de ses contemporains a-t-il pu composer un monument d’une telle sérénité qu’est la Passion selon Saint-Jean ? Il a touché à tous les genres de son époque en y excellant. Ses sonates pour violon seul, sans doute injouables à son époque, notamment pour la Chaconne, restent un chef d’œuvre inégalé et toujours rejoué par les plus grands virtuoses. Jean Sébastien Bach était aussi un formidable exécutant notamment à l’orgue à tel point que personne ne voulait concourir avec lui. Il y avait à son époque une obligation de se renouveler constamment ce qui le contraignait à créer la plupart du temps.

Sa musique ne reflète aucune passion. Sous une apparente rigueur, elle cache une grande émotion contenue. Elle doit s’écouler d’une manière un peu mécanique. Il est absolument exclu de jouer cette musique avec des pâmoisons romantiques en se tortillant de douleur sur son siège. C’est une musique céleste au-delà des misères de la vie quotidienne. C’est la totale sérénité, zen si l’on peut dire, qui nous envahit et à laquelle tout être humain aspire sans jamais y parvenir.

Le dualisme enseigne la modération et de vivre «au milieu», entre les excès dans un sens ou un autre. Jean Sébastien Bach qui a porté la musique jusqu’à son paroxysme ne devrait pas être taxé de dualiste. Mais il y a sans doute eu compensation entre les sommets de son œuvre et la médiocrité du personnage telle que cela a été rapporté.

Pour le sage, il s’agit d’une sorte de méditation et l’écoute de cette « musique des anges » peut lui permettre d’atteindre plus profondément le nirvâna ou la quasi-extinction des sens en y accédant par le système auditif. Il aspire à la qualité suprême qui est la sérénité et le détachement de soi. La musique de Jean Sébastien Bach est transcendantale et non charnelle. Elle peut venir nous baigner quand nous voulons séjourner dans l’invariable milieu pour rechercher l’oubli de nos misères quotidiennes.

Glenn Gould a été un des meilleurs interprètes de Jean Sébastien Bach au piano alors que cet instrument n’était pas connu à l’époque. Réputé fantaisiste, il jouait avec un vieux pardessus râpé assis sur un petit escabeau déglingué, courbé complètement sur le piano, faisant corps avec lui et chantonnant en même temps qu’il jouait. C’était certainement un sage qui fuyait le monde, les concerts hyper conventionnels pour se consacrer à cette musique qui lui semblait dictée par le ciel. Interrogé sur le fait de savoir s’il croyait en Dieu, il avait répondu :

« Je crois au Dieu de Jean Sébastien Bach».

 

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Voir aussi le livre IV La Compensation

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