Six personnages en quête d’auteur

« Pourquoi faire simple

quand on peut faire compliqué »

Les Shadocks

yinyan

Tout n’est-il qu’illusion.., une sorte de rêve éveillé ?

Sur le fronton du « Globe theater » où a œuvré Skakespeare, on lisait la devise suivante en latin :

« Totus mundus agit histrionem » (Le monde entier joue la comédie)

On retrouve cela dans la pièce «As you like it » (Comme il vous plaira) :

« All the world’s a stage and all the men and women merely players » (Le monde entier est une pièce de théâtre et tous les hommes et femmes sont seulement des acteurs).

A la fin du « Songe d’une nuit d’été », le lutin Puck vient dire aux spectateurs : « Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, figurez-vous seulement que vous n’avez fait qu’un mauvais somme »

Dans la Tempête, Prospéro dit abruptement : « Nous sommes de la même étoffe dont sont faits les rêves et nos misérables vies sont entourées de sommeil. »

Avec sa pièce « La vie est un songe » Calderon mêle également réalité et rêve.

Considérer la vie comme un rêve est un thème récurrent. Dans le livre « De l’autre côté du miroir » de Lewis Carroll, Alice dans son rêve de franchir le miroir pour accéder à un monde à l’envers, rencontre le Roi rouge qui rêve d’elle. C’est le rêve dans le rêve. De même le philosophe taoïste, Tchouang-Tseu, rêve qu’il est un papillon et lorsqu’il se réveille, il se demande s’il est Tchouang-Tseu qui vient de rêver qu’il est papillon ou s’il est le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-Tseu. Où est la réalité ? Est-ce qu’on rêve qu’on est rêvé ou est-on rêvé par ce dont on rêve ? Ceci peut se renvoyer, comme d’un miroir à un autre, indéfiniment. C’est le cercle parfait qui n’a pas d’issue et tourne en rond constamment.

Un dernier exemple de symétrie abyme est la pièce de Pirandello : « Six personnages en quête d’auteur ». Une troupe sur scène est en train de répéter la pièce qu’elle doit jouer. Un groupe de six personnes fait irruption et demande aux acteurs de jouer leur propre histoire. Les acteurs s’exécutent mais les six personnages ne sont pas satisfaits et décident d’interpréter eux-mêmes leur propre histoire. Pour eux leur jeu est de la pure fiction et non la dure réalité qu’ils ont vécue. Il en résulte un imbroglio et l’on ne sait plus où est la « vraie » réalité et s’il y en a une. Finalement, les six personnages quittent la scène et le régisseur se plaint qu’ils leur ont fait perdre une journée de répétition.

C’est le théâtre dans le théâtre. Une autre pièce est jouée dans la pièce elle-même. On peut ainsi faire ceci indéfiniment.

Nous allons voir que le problème d’une inaccessible réalité se pose également dans l’infiniment petit. Tout dans l’univers connu, absolument tout, hommes, animaux, plantes, minéraux, planètes, étoiles, galaxies, est composé d’un nombre réduit de particules subatomiques et de leurs interactions. On dénombre exclusivement douze particules et le boson de Higgs dont la plupart n’ont qu’une très brève durée de vie, étant la conséquence de chocs terribles à des vitesses voisines de celle de la lumière dans d’énormes machines appelées collisionneurs.

On peut ne considérer que ce qu’il y a de détectable et qui dure un temps donné suffisamment pour être.

Comme l’avait pressenti les Grecs, l’atome est la cellule de base. Il peut se diversifier en une centaine d’éléments répertoriés dans la Table de Mendeleïev. L’atome est sécable en électrons et noyau, lui-même est composé de deux particules élémentaires : le quark up et le quark down. Ces particules peuvent se regrouper en proton et neutron. Dans la désintégration du neutron, il apparaît un proton, un électron et un antineutrino.

Ces particules qui constituent la matière sont appelés fermions. Elles interagissent ensemble par l’intermédiaire de bosons dont on peut sélectionner le photon pour le champ électromagnétique et le gluon qui lie les quarks dans l’interaction forte.

Récapitulons :

Pour la matière : électron, quark up, quark down, neutrino

Pour l’interaction : photon et gluon.

Eh bien, oui, ces six particules sont l’essentiel de tout ce qui constitue l’univers.

C’est d’une incroyable simplicité. Non ? Le créateur ne s’est pas fatigué. Peut-être vit-il caché derrière le nuage de l’inconnaissable sans doute honteux de ce qu’il avait déclenché en voulant faire simple. Il a laissé ensuite ces particules se mêler à loisir, au hasard des rencontres. Cela a donné l’extraordinaire diversité du monde que nous connaissons.

Pour aller plus loin dans le petit nombre des constituants de base de notre univers, nous avons vu que le mélange aurait donné seulement une centaine d’atomes qui se sont regroupés dans un grand nombre de molécules très largement diversifiées.

La simplicité s’accentue lorsqu’il s’agit des éléments les plus courants. Ils sont seulement quatre qui sont :

  • L’hydrogène qui a lui seul constitue environ 75% de la matière. Comme l’atome est constitué uniquement par un proton et un électron, là non plus, cela n’a pas été harassant.
  • Les autres atomes les plus répandus ont été forgés dans le cœur des étoiles et se sont répandus après la mort de l’étoile. Ce sont le carbone, l’oxygène et l’azote. L’hydrogène, l’oxygène et l’azote vivent en couple. Le carbone, sans qui il n’y aurait pas de vie, peut se lier avec 4 atomes.

L’essentiel de la matière et du tissu vivant est constitué de ces 4 éléments. On retrouve ces éléments exclusivement dans les deux familles :

  • Les acides nucléiques (A, T, G, C) dont deux sont complémentaires des deux autres, qui perpétuent le capital génétique
  • Les acides aminés fabriqués sur ordre des premiers et qui se limitent à une vingtaine d’exemplaires.
  • A et T, G et C sont en couple. Ils sont liés l’un à l’autre par un système du genre clef-serrure. Ainsi le code génétique n’est pas constitué de quatre lettres comme on le dit souvent mais de deux couples différents, c’est le ménage à quatre. Ces couples s’intervertissent comme une chaîne numérique de 0 et de 1. Le code génétique est donc bien dualiste.

La aussi il y a un très grand souci de simplicité.

Citons d’autres exemples qui confirment le peu de moyens employés par la nature :

– les trois nombres quantiques qui déterminent les orbites des électrons autour du noyau

– les particules qui se répartissent toutes en deux classes :

-les fermions qui réalisent ce qu’on appelle la matière

-les bosons qui véhiculent l’énergie d’interaction entre ces particules

– le « spin », particulier à chaque classe de particule. Nous y reviendrons car il s’agit d’un attribut qui n’existe qu’en mécanique quantique, très difficile à saisir qui n’a que deux possibilités de faire comme s’ils tournaient.

– les champs d’interaction des particules entre elles qui sont au nombre de quatre :

– la gravitation force attractive s’exerce entre les masses

– le champ électro-magnétique dont les particules sont les photons

– l’interaction forte qui lie les quarks du noyau

– l’interaction faible qui est une rupture de symétrie de l’électro-magnétisme

– un certain nombre de concepts venus directement du cerveau humain essaient de définir les « actions » des champs et leurs particules. Nous verrons qu’ils peuvent se ramener à deux grands concepts : l’énergie-masse et l’espace-temps qui varient à l’inverse l’un de l’autre autour d’un pivot d’action dénommé : constante de Planck qui est la plus petite quantité d’action possible. Sa grandeur est extrêmement faible.

La caractéristique essentielle du monde dans lequel nous vivons est que tout est lié, interdépendant. Il n’y a pas de dérogation, semble-t-il. Les liaisons sont concrétisées par les champs. Une autre règle est que rien ne peut exister sans son opposé. Si l’un est en conflit avec son contraire, par contre ils ne peuvent se passer l’un de l’autre. Tout ceci implique que rien ne peut exister seul, isolé de toute communication. Les couples de contraires sont indissolublement attachés l’un à l’autre.

Citons Nagarjuna, moine bouddhiste du IIème siècle après J.C : « les phénomènes tirent leur nature d’une mutuelle dépendance et ne sont rien eux-mêmes ».

Ajoutons qu’ il défendait également l’impermanence des choses perpétuellement animées, sans repère absolu.

Nous voilà parvenus à une extrême simplification. Tout se réduit à une à une superposition de contraires issus du couple oui-non, 0 et 1, être et non-être.

Demandons à trois grands philosophes de conforter cette opinion et de venir à la rescousse :

– Jakob Boehme : « Toutes choses consistent en oui et non »

– Lao Tseu : « être et non-être s’engendrent l’un l’autre»

– Hegel : « donnez moi de l’être et du néant et je vous ferai un monde »

On ne peut aller au-delà de l’idée de couple. « Rien » laisse entendre qu’ il y a « quelque chose » qui implique qu’ il peut y avoir « rien ».

C’est le cercle, aboutissement de tout raisonnement qui tourne en rond sans fin, à l’infini sans possibilité de conclure définitivement.

Le cercle peut augmenter par l’action d’une force centrifuge. C’est le cas de l’onde. Il peut aussi rétrécir par une force centripète. Cela va vers la concentration, la particule. Le centre ou zéro n’est jamais atteint. Il peut y avoir un instant de stabilité mais cela ne dure pas car il y a quelque chose d’indiscernable qui va perturber l’équilibre. C’est le cas de la symétrie abyme où deux miroirs parallèles se renvoient indéfiniment leur image l’ une à l’ autre .

La seule issue est finalement l’infini. C’est un inaccessible car il est toujours possible d’y ajouter quelque chose.

Citons Montaigne qui a envisagé les deux cas :

  • Un mouvement linéaire dans les deux sens : « Puisque les sens ne peuvent arrêter notre dispute, étant pleins eux-mêmes d’incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s’établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l’infini »
  • Un mouvement circulaire également dans les deux sens : « Pour juger des apparences que nous recevons des sujets, il nous faudrait un instrument judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous y faut de la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un instrument ; nous voilà au rouet »

Le monde entier repose banalement et très simplement sur l’idée de couple exclusivement qui se manifeste par le cercle vertueux ou vicieux. Le monde connu se limite ainsi à l’interdépendance et l’impermanence de contraires. Quant à l’inconnu on ne peut évidemment rien en dire. Le vide est gros de potentialités non manifestées. Il y a là aussi entre le possible, le probable et le réalisé un jeu dualiste.

Nous avons basé notre exposé sur l’extrême simplicité du monde en décrivant les particules comme des petites billes en quelque sorte. En fait il s’agit d’êtres quantiques dont le comportement est tout à fait étrange. Ceci sera amplement détaillé dans ce qui suit. Les objets du monde quantique ne ressemblent en rien à ceux de notre quotidien. Pourtant nous sommes entièrement constitués de ces curieux éléments. Mais le tout n’est pas la somme des parties. Il en diffère par des propriétés dites émergentes.

 

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