L’entropie

17 Nov 2015 par

 « Tout ce qui est composé doit se défaire »
Dernières paroles de Bouddha

« Il est impossible à une machine simple sans l’aide d’un agent extérieur, de transférer de la chaleur d’un corps à un autre se trouvant à une température supérieure. »
Traduction de Lord Kelvin
Théorie générale de la thermodynamique 1851

 

«Die wärme kann nicht von selbst (ohne Kompensation)
aus einem kälteren in eimen wärmeren Körper übergehen»

Clausius 1850

 

L’entropie

 

Si les ingénieurs du début du XXe siècle étaient avant tout préoccupés de faire progresser les télécommunications, ceux du XIXe se souciaient surtout du travail mécanique et notamment du rendement des machines à vapeur. Fallait-il pour faire tourner cette machine, aller d’une source chaude vers une source froide obligatoirement ? Le contraire était-il possible ? Pour Sadi Carnot (1824) il constatait que, si pour un système fermé et isolé des influences extérieures, l’énergie disponible à l’intérieur se conservait en grandeur aux pertes près, il était tout à fait impossible de produire du travail en allant du froid vers le chaud. C’est un problème qui allait occuper l’esprit de grands savants pendant longtemps.

Cela finit par donner le concept d’entropie dont l’action est contraire à celle du concept d’information qui se rejoint en s’opposant. Les physiciens sont ainsi, quand ils ne savent pas expliquer un phénomène, ils le baptisent d’abord. C’est Clausius, en 1854, qui se chargea de cela, en utilisant le mot grec « entropie » qui signifie retour en arrière, involution. Clausius accomplit aussi, ce dont rêve tout physicien, de mettre cette notion incompréhensible en formule mathématique : si un système varie énergétiquement d’un état A à un état B en se dégradant, si leur température absolue est T, leur quantité de chaleur Q et l’entropie S, la variation de S est décrite par la fonction :

entropie1

quelle que soit la manière dont on va de A à B, qui est irréversible.

Cela signifie que pour tout système isolé, son évolution spontanée ne peut se faire que dans un sens, celui de la dégradation, c’est-à-dire l’impossibilité d’obtenir du travail. C’est irréversible. C’est une sorte de repli sur soi en considérant le désordre comme plus confortable que l’ordre qui se disperse et s’atténue. L’entropie dans un système isolé ne peut évoluer qu’en augmentant. Il faut comprendre que le travail correspond à un mouvement ordonné des molécules d’un gaz, dans le cas d’un piston par exemple. Mais si c’est simplement de l’énergie sous forme de chaleur, tous les mouvements des molécules sont désordonnés et aucune n’est vraiment repérable par rapport à d’autres. L’entropie traduit le fait que les molécules d’un gaz ne peuvent s’ordonner d’elles-mêmes spontanément. Un système isolé à une température et une pression données c’est-à-dire recelant une certaine quantité d’énergie déterminée Q peut avoir de nombreux états si l’on considère les positions et les vitesses de chaque particule de masse identique. Par ce qu’on appelle l’hypothèse ergodique, on admet que tous ces états sont équiprobables. On peut aussi bien avoir toutes les molécules tassées dans un coin du récipient que les voir toutes également et uniformément étalées. La quantité de ces états identiquement possibles est symbolisée par W.

La thermodynamique a ses principes. C’est d’abord celui que dans tout système isolé, l’énergie c’est-à-dire la capacité de bouger, de se mouvoir, se conserve. Ceci interdit le mouvement perpétuel, car tout mouvement dissipe de la chaleur par frottement. C’est l’addition des deux qui est constante s’il n’y a pas d’échange d’énergie avec l’extérieur. Le principe suivant ou deuxième principe exprime ce qui a déjà été dit : on ne peut produire du travail en allant d’une source froide à une source chaude. C’est aussi une impossibilité de mouvement perpétuel dit de deuxième espèce.

L’entropie est en quelque sorte une mesure du désordre. Plus W est grand, plus il y a de possibilités de désordre. L’idée de Boltzmann a été, comme pour l’information avec Shannon de considérer le logarithme de W comme quantitatif de l’entropie. Ce logarithme népérien a comme base « e » et s’écrit lognW.

S’il n’y a que deux états possibles équiprobables et en utilisant la base 2 pour le logarithme on retrouve le bit de Shannon = – log22, au signe près qui indique bien que l’information est en flux inverse de l’entropie.

La formulation de l’entropie par Clausius était macroscopique. Boltzmann propose une formule qui tient compte de tous les états microscopiques.

S= k lognW, k est la constante dite de Boltzmann qui vaut 1,38 x 10-23 en joules par degré Kelvin. k est en fait le rapport entre l’énergie totalement contenue dans le système E et sa température absolue : k=E/T. L’entropie est liée à la complexité du système. Plus un système est complexe, plus grande est son entropie. La complexité comme l’entropie d’un système isolé ne peut pas décroître.

Pour mieux expliquer l’entropie qui est un concept d’un abord difficile, on prend souvent l’exemple de la tasse de thé qui se refroidit. La chaleur qui lui a été communiquée se dilue dans l’atmosphère et est irrécupérable.

L’état d’équilibre d’un système tend toujours spontanément vers l’entropie maximale qui est caractérisée par une uniformisation qui témoigne d’un état de dégradation complète.

L’accroissement du manque d’ordre, d’organisation, s’applique à l’entropie.

L’entropie fait passer d’un état moins probable à un état plus probable qui est celui de la désorganisation. Plus il y a d’états possibles pour une même énergie, plus c’est irréversible.

Il faut noter que dans ce concept d’entropie, on fait abstraction des influences des molécules entre elles d’où l’idée d’indépendance entre les états.

L’entropie est considérée comme nulle à la température absolue (T=0).

Voici un exemple : dans un milligramme d’hydrogène, il y a 300 milliards de milliards de molécules. S’il n’y avait que 80 molécules dans un récipient, il y aurait 280 ou 1024 configurations possibles. Avec un million d’images/seconde, il faudrait filmer 15 milliards d’années (à peu près la durée de notre univers) pour avoir une chance d’observer les 80 molécules groupées dans une seule case de

80 cases, les 79 autres étant vides. Voilà des nombres fantastiques qui illustrent bien ce qu’on peut appeler le grand nombre.

Poincaré qualifiait le concept d’entropie de «prodigieusement abstrait». Pourtant, nous l’expérimentons tous les jours, tout le long de notre existence. En aucun cas, on ne peut revenir en arrière, rajeunir ou tuer son père avant d’être procréé. Un acte, une fois commis, est irréversible. On ne pourra jamais le faire à nouveau strictement dans les mêmes conditions. Ce qui est fait est fait. La raison en est qu’il y a une incroyable quantité de petits évènements qui s’écoulent ensemble vers le repos. Une goutte d’eau est emportée par le fleuve et ne peut le remonter que provisoirement. Il semblerait qu’une antiparticule puisse en théorie remonter le temps. Le temps à une échelle ultramicroscopique est-il continu ? Nul ne le sait. L’expansion avec le temps nous entraîne tous vers la dispersion et la dilution et on ne voit pas comment cette énorme machine qu’est l’univers modifierait sa marche forcée vers l’étalement. Contre cela, les choses ne peuvent avoir que le réflexe de se mettre en boule, comme le hérisson. La boule, comme la bulle, offre un maximum de volume sous un minimum de surface de contact avec l’extérieur. La force qui s’oppose à l’expansion donne à la matière qui est de l’énergie condensée, la forme sphérique la plus apte à résister à la désintégration. C’est bien l’expansion qui finit par l’emporter mais la lutte est rude, chacun des deux adversaires recherche sa propre victoire et la défaite de l’opposant.

Derrière une situation d’apparence stable pour un gaz en température T, pression P et volume V (PV = RT) si k est la constante de Boltzmann et N le nombre d’Avogadro. R = kN et PV = kNT, se cache une énorme quantité d’états instables. Ce sont les molécules qui virevoltent d’une manière apparemment désordonnée dans des espaces libérés par l’expansion. L’état stable est une forme de la loi des grands nombres. Pour une énergie donnée stabilisée, des milliards de petits êtres vont constamment évoluer dans leur ensemble sans modifier l’énergie du système, et prendre ainsi un grand nombre d’états avec l’idée téléologique de s’étaler et de s’uniformiser. Cet ultime état représente le repos et le calme tant recherchés. Le but est l’inaction. Par contre, les molécules peuvent aussi se réunir toutes dans un coin du récipient, en se tassant les unes sur les autres, réduisant à néant leur espace vital. Tous ces états sont équiprobables par hypothèse, mais le temps pour les réaliser peut être extrêmement long. Des états peuvent s’interchanger sans modifier le résultat statistique. Ce qui peut se passer dans un récipient à volume constant rempli d’un gaz à une température et une pression définie est semblable à l’image de l’univers isolé et oscillant entre la concentration dans un point unique sans degrés de liberté et un étalement où les différences tendent à disparaître à la recherche du repos éternel, sans y parvenir. C’est un état de plus en plus probable et stable. L’entropie, dans le cycle d’expansion de l’univers où nous vivons, ne peut, en général, qu’augmenter. Si toutes les situations sont équiprobables et si l’on partage l’univers en deux parties égales, c’est-à-dire si l’espace des possibles est équitablement partagé, on peut alors revenir à la théorie de l’information. C’est en quelque sorte le jeu basique de pile ou face. L’incertitude est réduite de moitié dans un temps donné t. On peut penser que la dichotomie suivante réduira de moitié. C’est le même phénomène que pour la désintégration d’un corps radioactif. Il se désintègre de moitié pour une période de temps constante. Comme l’a montré la flèche de Zénon d’Elée, celle-ci ne peut parvenir à atteindre sa cible, car il lui reste toujours la moitié de sa trajectoire à parcourir. Il en est de même pour l’incertitude et le corps radioactif. Avec l’expansion on va vers la réduction de l’incertitude, en se dirigeant vers le plus probable, donc le plus sûr. On se rapproche du certain qui est le repos éternel, le néant en quelque sorte, où rien n’arrive. Mais ce dernier, malgré les réductions régulières successives de moitié des probabilités, restera toujours hors d’atteinte, à l’infini.

L’entropie est bien une conséquence de l’expansion comme, en moyenne, le temps, la température, la densité. Toutes ces notions se recoupent les unes les autres et ne sont permises que parce que des espaces de liberté de mouvement sont de plus en plus importants.

La température moyenne de l’univers est de 2,7° Kelvin c’est-à-dire 2,7° au dessus du zéro absolu qui est de – 273°C. Du fait de l’égalisation vers la température la plus basse, tout ce qui est chaud (êtres vivants, planètes, étoiles, atomes, etc.) subit une poussée pour revenir à l’équilibre. Nous ne sommes que des ilots de concentration dans un océan d’étalement qui finira par nous engloutir.

Quelques chiffres pour montrer que tout est gigantesque à l’échelle microscopique : l’univers observable a une dimension de 1026 m, sa masse serait de 1052 kg et il contiendrait 1088 particules.

La chute de la concentration vers l’étalement ne se produit pas progressivement, mais plutôt par paliers avec des retours en arrière par de brusques ruptures d’équilibre, de positions instables à stables. La résistance à l’expansion ou l’inertie thermique ne cède que par à-coups.

L’univers est en état de déréliction, en état de non-assistance par une puissance divine et livré à lui-même. Ce n’est pas un système dissipatif qui échange beaucoup avec l’extérieur comme les êtres vivants. Il est probablement isolé, oscillant entre deux extrêmes. Il procède par essais et erreurs. Il fonctionne sur le mode de la reproduction à l’identique. L’ouverture d’espaces par l’expansion fait que des fautes d’exécution, se glissent et l’identité n’est jamais parfaite. Tous ces ratés, tous ces faux pas sont à l’origine de la vie qui ne saurait jaillir de l’uniformité. Bruit, frottement, déchets, brisures de symétrie, parasites, perturbations sont les « bugs » de l’univers et l’expression du désordre. Le vide quantique où on a ôté matière et rayonnement n’est qu’une pure agitation désordonnée, un mouvement brownien de microparticules qui ne passent à l’existence qu’en prélevant et en concentrant une partie d’énergie qui n’est qu’empruntée et qu’il faudra rembourser dans un temps inversement proportionnel au montant du prélèvement.

L’énergie s’écoule dans l’univers d’une façon que l’on peut comparer à l’écoulement de l’eau sur la terre. Le relief est provoqué par le gradient de densité. Il y a des fleuves, des rivières, des cascades, des torrents, des lacs, des mers d’énergie. C’est la différence de température et de niveau qui entraîne tout ce bouillonnement intérieur. Comme pour l’atmosphère il y a des courbes isothermes, isobares. D’après la relativité générale, la courbure de l’espace guide son écoulement suivant le principe de moindre action. Comme pour l’eau qui s’écoule irréversiblement vers la mer, l’énergie ne peut remonter la pente d’une plus grande agitation que provisoirement et elle finit par se laisser emporter par le courant qui veut l’étaler et la réduire. Sa possibilité d’action se dilue dans des deltas sans fin.

Dans ce sens, l’entropie entachée d’énigmatiques formules mathématiques devient plus facile à comprendre. Elle est la conséquence de l’écoulement de l’énergie d’un point ultime de concentration jusqu’à une dispersion qui se traîne indéfiniment. Elle ne peut remonter le courant qu’avec l’aide d’une force d’union contrecarrant l’expansion.

Deux forces qui s’opposent en luttant sauvagement l’une contre l’autre, mais qui ne peuvent se passer l’une de l’autre, voilà bien l’évidente démonstration de la thèse dualiste. L’énergie a la faculté de se transformer, de se déguiser, de revêtir de nombreux atours pour donner l’illusion de la vie, mais il y a derrière tout cela un couple qui se cache. C’est le couple dualiste entropie <=> information que d’aucuns appellent néguentropie, qui est une des multiples formes que peuvent prendre les couples de base comme énergie – matière – rayonnement <=>espace – temps ou gravitation<=>expansion ou mieux : être <=>non-être. Tous ces couples superposent leurs oscillations pour être les principaux personnages en quête d’auteur de la pièce de théâtre qui nous est jouée, mis en scène par dame nature.

A chacun sa vérité.

 

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Voir aussi le livre X Le monde du probable

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